11
Août
2023
2

Dissidences en chaîne (3,00 km)

Piètre mécanicien, roi tyrannique et paresseux perché sur une monture fatiguée, je reporte souvent au lendemain la maintenance de ma vieille machine, y compris celle concernant les composants les plus élémentaires à choyer. Ainsi, alors que je pédale tranquillement, des gémissements attirent mon attention. Retirant les écouteurs qui encombrent mes oreilles – souverain sourd, vivant dans la musicalité d’une élégance royale – j’entends davantage la grogne révolutionnaire qui se prépare.

Une centaine de petits maillons entament un chant aigu sur un rythme biscornu. Téméraires, courageux et surtout assoiffés, ils dénoncent une carence en lubrifiant, celui qui permet à l’équipage de se la rouler douce durant leurs assommants trajets. Il est vrai que la vie d’un maillon est uniquement égayée par les changements de pignon ou de plateaux. En d’autres temps ou autres lieux, on réclame du pain, ici c’est de l’huile !

Si couiner ne suffit plus à se faire reconnaître à sa juste valeur, la révolte devient physique. Sautes d’humeur, rébellion, sabotage du travail : quasi à l’unisson, les maillons désignent des chefs de file qui décident de ne plus s’agripper aux dents des galets. Les conséquences sont immédiates, les sauts de la chaîne cassent le rythme. La chorégraphie, sorte de Carmagnole mécanique, s’accélère, entre agitation sonore et bondissement narquois, la chaîne dicte à la machine la conduite à tenir, martyrisant, en bout de course, les jambes du despote inconséquent et aveugle dont le souffle et le cœur accélèrent, provoquant un épuisement prématuré et une destitution inéducable de son trône en cuir.

Promis, ce soir j’imbibe la colonie… Pour autant que le précieux breuvage soit en stock à la maison.

Sinon, demain !