10
Sep
2023
5

Retour à la rêverie itinérante (1,32 km)

toute reprise débute donc par un solide petit déjeuner, si possible très tôt. J.+0. Dans les confins de ma mémoire, mon « come-back » débute vers trois heures du matin, en salle de réveil. Deux ou trois morceaux de pain (pardonnez l’imprécision), du beurre, de la confiture et surtout , pour l’exaltation des sens, une tasse de café !

Entre deux bouchés, un vieux réflexe, celui de s’intéresser aux gens et surtout à l’infirmière en charge d’un corps encore mal réveillé et surtout gavé d’anti-douleurs. J’évacue rapidement les bonnes annonces relatives à mon opération (je n’en doutais pas un seul instant) pour prendre quelques nouvelles du sacerdoce des soignantes et des soignants : la difficulté d’un métier chahuté par une pandémie mondiale, entre pression, absence et démission.

J.+10. Se lever, marcher, s’habiller, se raser, se doucher, manger, avaler (des médicaments), se recoucher, se tourner et se retourner dans le lit. Les dix premiers jours sont un véritable apprentissage pour un retour à la vie normale et « une espérance de vie des plus classique », selon le cardiologue qui m’avait examiné quelques mois plus tôt. Dans ma tête, un objectif : 20 jours pour être opérationnel et cheminer tout rêves dehors, porté par la bise légère du voyage à deux roues.

Chaque petite avancée, chaque vertige effacé ou trop plein de liquide post-opératoire du corps évacué ont le goût d’une petite victoire que je dois à mon père. Je repense souvent à un paternel qui affronta sa leucémie deux ans plus tôt. Chaque séance de chimiothérapie était l’occasion pour lui de relancer la mécanique d’un corps meurtri par la maladie à coups de petit pas. « Aujourd’hui, j’ai marché 10 mètres sur la plage. Demain, j’en marcherai 15 et après… », disait-il. Et après ? Le rêve se solidifie à marche forcée, la volonté et le courage comme ciment de l’âme. Aujourd’hui, mon père empile les kilomètres à vélo ou à pied comme on empile adroitement les roches pour construire un mur de pierres sèches dans nos régions.

J+41. De retour sur les routes. Cette renaissance s’accompagne de nouvelles envies et surtout de finaliser de consigner toutes ces phrases qui éclosent le temps de mes trajets depuis si longtemps. Les douleurs thoraciques s’accrochent encore à mon corps, mais pas à ma volonté. La réparation fut l’affaire des chirurgiens. La totale guérison est mon affaire : par le mouvement, puis par l’imaginaire. D’abord, un fin filet de pensées positives qui s’écoule dans les méandres de mon esprit, puis un ruisseau qui se transforme en une abondance d’émotion qui anéantissent les douleurs à la faveur d’idées compulsives qui ravivent mes sens.

4 mois plus tard. Les rêveries se sont additionnées pour donner naissance à plusieurs textes qui trouvent leur place dans les présentes pages. Sur un groupe Facebook consacré aux opérés du cœur, je m’épanche sur ma santé retrouvée et surtout je m’étonne de ne pas avoir su : « Il est vrai qu’avant mon opération de l’aorte, je ne me savais pas malade. Avant la découverte, par hasard, de mon souci de santé, je sentais bien que mon souffle était un peu court à l’issu de mes itinéraires à vélo entre la maison et le boulot. Après certains trajets, surtout durant les mois hivernaux, je toussais passablement. Sur le chemin du retour, la petite élévation m’essoufflait. J’attribuais cette particularité à une condition physique un peu incertaine. »

J’ai eu de la chance, je me suis remis assez vite de cette expérience. Six semaines après l’opération, j’ai repris mes trajets de cyclo-rêveur. Ce n’est que, près de 4 mois et demi après l’opération, que je me surprends à repenser à cette respiration défaillante que je n’avais, alors pas, considérée sérieusement.

Je peux, ici, remercier l’oreille féline de ma généraliste. Elle a su remarquer à temps une anomalie qui ne m’inquiétait pas davantage que cela. »