Les maîtres de mon ciel (0,700 km)
Ce sont de curieux compagnons, de ceux qui vous font lever les yeux au ciel, non pas par dépit, mais d’admiration. À un rythme régulier, ils s’arrogent de larges parties de nos territoires. Bien souvent, ils se signalent avant même de se laisser apercevoir.
Un cri strident fracasse le relatif silence du village, une ombre se reflète sur le mur blanc d’une usine. Mon regard s’élève et s’émerveille du spectacle. L’élégant rapace décrit alors de gracieuses circonvolutions dans le ciel. La chasse est ouverte ! Guidé par les courants, le Milan Royal fend l’air avec agilité. Quelques secondes suffisent à désorienter n’importe quel altimètre tant sa descente est vive. « Petits mammifères, méfiez-vous, le ciel pourrait bien vous tomber sur la tête ! »
Un, puis deux, trois, quatre et jusqu’à cinq de ces seigneurs du ciel quadrillent le village à la recherche d’une proie ou paradant à la manière d’une patrouille volante motorisée. Lorsque la chance me sourit, l’union royale de l’astre solaire et du rapace projette sur le sol une ombre impressionnante qui devance les roues de mon vélo. Ébloui par tant d’audace, mon cœur s’enflamme pour son bec crochu et tranchant, pour les crochets de ses serres, sa longue queue rousse et ses imposantes ailes pourvues d’un plumage brun et rouge. Ma tête, elle, le jalouse. Et je me remémore mes nombreux vols de nuit, aucun rapport avec le romantisme tragique de Saint-Exupéry, battant mes bras – Ils sont écartés – dans le vent. Je survole les villes et les vallées, contemplant le tumulte des vies humaines qui s’agitent plus bas. Si Nils Andersen grimpait sur ses oies sauvages, moi je danse dans le ciel azur avec mes Milans royal, alternant vol battu ou plané, ascensions impressionnantes et descentes fulgurante. Une pause sur le toit d’une habitation, contrôle de la respiration, une observation et je redécolle.
C’est une évidence, je ne suis pas un rapace. Je ne suis qu’un bipède, incapable de se défaire de l’attraction terrestre et de l’attrait des hommes pour la routine du labeur quotidien. Pas volatile pour un sou, je suis figé par le temps du travail et un espace de 5 kilomètres. Une combinaison imposée qui restreint les variations de mes points de vue. Parfois, je regarde le Milan Royal dans le ciel et je ne le comprends pas. Il revient jour après jours, dans le même ciel, au-dessus du même village, survolant les mêmes maisons, patrouillant sur les mêmes champs. L’immensité de l’espace est pourtant à lui ! Alors, très égoïstement, un brin arrogant, je l’imagine prendre un malin plaisir à guetter mes passages ou à veiller sur mes aller et venue, à la manière des Inséparables qui ne peuvent se quitter.
Au cours de mes observations, je ne parviens jamais à repérer le moment précis où le rapace décide de rejoindre son nid. Et pourtant, j’ai appris à repérer dans les arbres le tas de branches qui constitue la chambre nuptiale du couple royal, le lieu qui accueillera la progéniture printanière. Après tout, il est des mystères qui demeurent. Celui-là maintien éveillé ma fascination discrète pour les maîtres de mon ciel.