Dans le désert poissonneux de Théodore Monod
Théodore Monod est l’un de ces explorateurs et scientifiques qui ont bercé ma jeunesse. J’ai encore en tête des images télévisuelles de cet homme – reportages sur ses expéditions – et bien sûr quelques tirades extraites de ses livres consacrés au vivant. Hier soir, j’ai eu le plaisir d’assister à une représentation de la troupe de théâtre La Marelle retraçant la vie du célèbre ichtyologue.
La scène est magnifiquement épurée. Elle est composée de toiles couleur blanc cassé qui se meuvent au gré de cordes tirées par les deux acteurs. Devant nos yeux, le décor se transforme tour à tour en désert, église ou fond marin dans lequel Théodore Monod et le professeur Auguste Piccard s’immergent avec le Bathyscaphe. Une discrète projection, accompagnée d’effets sonores, effleure le tissu et plonge les spectatrices et les spectateurs dans un univers qui nous déracine à plusieurs milliers de kilomètres du CIP Tramelan, lieu de la représentation. Bienvenue dans la Majâbat al-koubrâ, « désert des déserts », large étendue de sable entre la Mauritanie et le Mali. Là, Monod y chercha des vestiges du Néolithique tels que des vertèbres de poisson. Ces immensités furent marines.
“Celui qui cueille une fleur dérange une étoile”, nous rappellent les deux acteurs, Pierre-Philippe Devaud et Aurélien Deque. Une phrase parmi les nombreuses autres tirées des écrits de celui qui était capable de décrire le rien sur un millier de pages. Dans le désert, sur sa recommandation, on trace un cadre mental : en haut, on y observe un magnifique dégradé de bleu, sur la partie basse, un dégradé d’ocre.
Devenons des Petits princes
Tissant un lien entre les hérauts qui alimentent mes songes, les comédiens décident de rédiger un petit mot à l’attention d’Antoine de Saint-Exupéry pour répondre à la supplique qui clôt Le Petit Prince : « Si un enfant vient à vous, s’il rit, s’il a des cheveux d’or […] Soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste : écrivez-moi vite qu’il est revenu… » Théodore Monod était ce petit prince du désert. Les deux artistes ont enjoint l’assistance à prendre également ce rôle pour vivre une vie ordinaire de manière extraordinaire, la tête dans les étoiles.

« La Beauté est la nourriture principale du voyageur »
Mon week-end littéraire a croisé deux autres têtes blondes qui aiment s’endormir avec le ciel comme couverture (merci RL Stevenson). Hervé Depardieu et Élodie Arrault ont parcouru l’Afrique, de Dakar à Djibouti, traversé des déserts et rencontré les actrices et les acteurs qui veillent au plus grand rêve agro-écologique africain, la Grande muraille verte. J’ai lu avec grand intérêt les réflexions d’Hervé sur la coopération au développement, sur le rôle et les conséquences de la colonisation, ainsi que sur l’avenir de l’Afrique qui passe notamment par une culture vivrière capable de s’affranchir de la globalisation et favoriser la reforestation.
Je rejoins Hervé lorsqu’il écrit que « La Beauté est la nourriture principale du voyageur. » Néanmoins, j’ajoute qu’elle devrait être également celle des sédentaires. Apprenons à nous émerveiller du quotidien. Allongé sous un baobab au Sénégal, sous un cèdre au Maroc ou encore sous un hêtre de l’arc jurassien, la manière de rêver reste la même, le regard touours tourné vers le vivant.

