La cérémonie du thé (km 0)
Il en va du préparatif de mes départs comme de la « cérémonie du thé » pour reprendre une expression un brin ironique, voir moqueuse, utilisée par une observatrice avisée, témoin privilégiée de mon organisation. Vu de l’extérieur, le rituel semble effectivement parfaitement huilé et sans doute assez ridicule. De l’intérieur, dans ma petite théière mentale, une certaine agitation règne. Le liquide cérébro-spinal ébouillante mes sens. Il convient de ne rien oublier et c’est bien cela la première étape de mon protocole matinal.
Ensuite, vient la mise en place du sac. Il doit contenir l’essentiel nécessaire à ce genre de périple : l’ordinateur portable, différents dossiers, des stylos, et surtout quelques étoffes de rechange bien utiles à l’homme qui sue à grosses gouttes dès que son corps s’anime un peu. Le voyageur organisé prendra le soin de nettoyer le sac des impuretés du week-end. Un petit rinçage s’impose afin d’éviter de crotter le déguisement du travailleur.
Passé ce petit moment de décrassage, je me frotte au casse-tête météo de saisons qui la perdent. Faut-il prévoir des vêtements pour la pluie annoncée, mais finalement si discrète ? Une petite polaire est-elle vraiment utile, aujourd’hui ? Le temps est versatile, parfois imprévisible et le sac peu extensible. Finalement, on jette hors de la besace le superflu.
Quelques ingrédients donnent un goût sucré et mentholé à l’aventure, plus particulièrement la musique ! Vérification de la liste d’écoute. Celle-ci balance des rimes qui décrètent avec justesse que la liberté ne se mendie pas, mais qu’elle se conquiert. De la musique donc pour la fraîcheur des sensations, mais également quelques objets sécuritaires afin d’éviter la douleur des sens.
À ce stade des préparatifs, deux à trois minutes de réflexion s’imposent. Le cerveau s’imprègne de ce que traduit ses rétines. Quelques impulsions électriques plus tard, les informations s’infusent dans les neurones afin de valider la qualité du contenu embarqué.
C’est maintenant le temps de l’action. Je m’empare du sac, descend les escaliers afin de rejoindre le fidèle destrier en acier qui m’attend. J’y déverse mes affaires. Le téléphone est accroché sur le guidon, la prise jack sur le téléphone, et les écouteurs sur les oreilles. Le sac enfin est posé dans le panier solidement accroché sur le porte-bagage du vélo. Le doute s’installe. Le sac est ouvert une fois, deux fois puis une troisième fois. Dépaqueter, remettre en place et recommencer. Le rituel s’assimile parfois à un toc.
Le temps est ainsi venu libérer le vélo du cadenas qui le protège d’éventuels brigandages nocturnes. Le pied posé sur une pédale, je goutte l’air ambiant. Les secondes s’égrènent avant que je ne détermine le moment optimal de ma mise en route. À ce moment-là, il est important de se concentrer sur la route à venir. Et, lorsque la conjonction des parfums et des saveurs qui l’embaument est idéal, le temps est venu d’appuyer sur la pédale et de se glisser le long de cette descente.
Emporté par l’élan et la gravité, je tends mes jambes et mes bras de manière à me tenir debout sur les pédales, plaçant mon corps le plus haut possible. La poitrine est tendue et gonflée vers l’avant. Ainsi positionné, le cerveau s’oxygène grâce à mes poumons qui aspirent fort les arômes du voyage. La fraîche brise matinale s’enroule autour de mon corps et du cadre en acier qui le prolonge. Si j’étais une vague, le vélo en serait l’écume. Cette petite mousse a maintenant l’odeur du thé à la menthe. L’exaltation s’empare de l’homme et de la machine unis, pour les 5 prochains kilomètres.