15
Sep
2023
5

La conquête de la haie (3,78 km)

En bordure d’un petit chemin goudronné, lieu de promenade préservé des voitures et dédié aux bipèdes, quadrupèdes en laisse ou non, ou encore cyclistes de la semaine et du dimanche, de toute taille, une imposante muraille de verdure s’affranchit des accrocs urbains imposés par les constructions humaines.

Cette belle et honorable frontière végétale, véritable assortiment d’herbes folles, de buissons, arbustes ou arbres, de plusieurs mètres de hauteur, soustrait aux regards indiscrets, côté Sud, la beauté d’un petit étang, minuscule biotope artificiel creusé en compensation de la construction de l’autoroute qui longe la montagne de Montoz, quelques 700 mètres plus haut.

Sa longueur avoisine à peine le demi-kilomètre, et pourtant que de persévérance pour s’émanciper des incivilités exubérantes de l’Homme moderne. Tout commence discrètement. D’abord, quelques branches s’infiltrent dans les interstices d’un petit pont en bois qui chevauche une rivière, la Birse. Ces sont les extensions des arbres en contrebas qui s’élèvent depuis les bords du cours d’eau. Insidieusement, les branches y déposent des feuilles qui s’avèrent piégeuses et glissantes, particulièrement l’automne venu. Ce ne sont là que les prémisses d’une invasion plus importante à venir, au sortir de l’hiver. D’octobre à février, il règne une accalmie toute relative. La morsure du froid et le gel incitent les végétaux à se protéger, à se mettre en veille. À l’évidence, c’est durant cette période de l’année que se joue leur prochaine prise de pouvoir. Malgré les températures, la révolution de la sève est florissante ! Pour survivre à la rigueur de l’hiver, les plantes évaporent le surplus d’eau et stoppent l’irrigation. Ce que l’on ignore, c’est qu’elles préparent déjà la saison du renouveau, avec des bourgeons déjà prêts à se redéployer. Dans l’intimité de leurs cellules, les végétaux fomentent les plans d’une attaque fulgurante et coordonnée de la biocénose.

Au printemps venu, la barrière végétale explose de toute part et file à la conquête du chemin « bitumé », envahissant la place disponible, restreignant les possibilités des badauds qui ne disposent plus que d’un demi passage pour circuler. Le buisson ardent qui compose une partie de la haie se couvre de fruits rouges, un piège visuel qui attire l’œil du cycliste que je suis. Distrait, appâté, je suis vite châtié à coup de branches qui me fouettent le corps, fort heureusement protégé par ma veste. Le monde végétal invite ainsi l’imprudent à prendre de la distance envers la biodiversité qui se dissimule à l’intérieur du rideau vert.

Heureusement, la haie n’est pas toujours agressive. L’été, l’expansion de ses branches forme quasiment un arc de cercle au-dessus de la route, assurant ainsi aux promeneurs une aire ombragée bienvenue lors des journées les plus chaudes. Maigre temps de répit. Les jours pluvieux, ses feuilles se chargent de milliers de gouttes d’eau prêtes à s’abattre et à gicler sur quiconque en frotterait les ramures qui les soutiennent.

Pour tout à fait honnête, cette haie est très certainement née de la main de l’homme, façonnée par lui et pour ses propres besoins. Mais, elle s’est libérée de cet asservissement. Maintenant, quand bien même s’acharnerait on à l’ébrancher afin de gagner de la place, que l’immense et munificente barricade végétale repartirait encore et encore à l’assaut de la route pour le plus grand enchantement des rêveurs, ceux qui aspirent à en brosser le portrait et à en conter, par un inventaire à la Prévert, la vie qui y grouille en son sein.

Bientôt, un jour peut-être, je m’arrêterais, déploierais la béquille de mon vélo et je m’accorderais le temps d’une observation sauvage et onirique de ce superorganisme qui me toise à chacun de mes passages.