16
Fév
2025
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La Nuit (1,32 km)

Petit guide de survie à l’attention du cyclo-travailleur de la nuit. Le cycliste nocturne, qui aspire à se vêtir d’une certaine prudence, évite de circuler à l’abri des regards et de se soustraire à la vue, parfois inattentive, des automobilistes. Quelques lumières judicieusement bien placées sur le corps et la machine accroissent la visibilité de celui qui se déplace sur deux roues. À la vue de tous, ainsi placé sous ce bouclier lumineux, il bénéficie d’une fine protection salutaire pour cheminer sur la route.

Davantage qu’en journée, le cycliste nocturne écoute les bruits de moteurs qui le croisent ou le dépassent, il est attentif à la variété des mouvements qui l’entourent. D’expérience, il sait qu’il subira les forces liées à la circulation des courants qui virevoltent autour du couple homme-machine. Elles varient fortement selon la taille du véhicule qui se fraye un chemin face à la résistance de l’air, créant de nouvelles ondes qui s’écraseront avec force contre le cycliste, au risque de précipiter sa chute dans les ténèbres.

Le rôle de la lampe évolue au fil du trajet et de l’environnement lumineux. Sur une route qui brille de mille feux, entre lampadaires, phares de camions, de voitures et enseignes lumineuses, elle concourt à nous rendre visibles. Plus tard, dans les confins d’un chemin disposant d’un éclairage public limité, le cycliste nocturne épie les moindres faits et gestes de ses contemporains, promeneurs nocturnes. Paupières mi-closes, il débusque ces discrets piétons dissimulés dans la noirceur. Ici, la lampe est une aide précieuse et indispensable pour traquer les ombres et les rendre visibles. La concentration est nécessaire pour limiter les collisions. La visibilité devient tactile : le doigt presse frénétiquement sur le bouton de la lampe de manière à adapter la qualité de la lumière aux conditions du terrain, entre flash lumineux excitant l’œil de l’automobiliste et flux éclairant assurant l’intelligibilité visuelle des obstacles qui se dressent devant lui.

Certaines nuits, une belle lune ronde asperge les beaux chemins, les plus élégants car désertés de tout éclairage public – souvent, c’est un bienfait à la fois pour la faune et la beauté du ciel, tous deux trompés par la lumière artificielle – d’un scintillement inégalable. Roulant sous les feux du projecteur lunaire, le cycliste file alors le long d’une magnifique piste aux étoiles. Pour peu qu’il soit pris d’une fringante envie de représentation spectaculaire et pleinement habité par la certitude d’un équilibre assuré, ses mains larguent le guidon gardien de sa stabilité. Pour lui seul et pour la mise en veille provisoire de son esprit, il assure un show nocturne intérieur.

Le mouvement circulaire de ses jambes se meurt dans la nuit. Emporté par l’élan de sa machine, le rêveur aspire par tous ses pores cette lueur nocturne et reposante, intensément propice aux révélations allégoriques et aux élucubrations littéraires d’une belle soirée itinérante sur la planète Terre.