Les mains vides
C
’était inévitable. Notre civilisation s’est écroulée voici plusieurs dizaines d’années. Les signes avant-coureurs ne manquaient pourtant pas : inondations, chaleurs de plus en plus marquées. La vieille Europe a subi de plein fouet les différentes crises climatiques et écologiques. Pour se déplacer, la bonne vieille bicyclette subsiste (tiens… tiens…). Je l’avoue, c’est justement le vélo sur la couverture qui a d’abord retenu mon attention.
De voyage à vélo, il est en justement question dans cette Eutopia d’Elio Possoz. Un jour, Iel (quel est son prénom ?) décide de quitter l’Amoureraie, la Communa où iel habite et effectue notamment ses unités de travail avec ses covives. « Je ne suis plus amoureuz. » Elle décide d’entreprendre un périple à vélo (baptisé La Bécote) durant lequel elle visite différentes communautés qui vivent avec leurs propres règles. Ces zones autogérées cohabitent avec celle des Verti, des sapiens qui vivent avec l’idée qu’une minorité domine une majorité, vieil héritage du Grand Gâchis. Notre protagoniste a un objectif, celui de retrouver la Communa de ses parents dans laquelle elle souhaite passer la prochaine Torpeur (la saison de l’ultra canicule).
On « lou » suit donc à travers une France écologiquement dévastée, dans laquelle des groupes subsistent selon des codes et des normes précises qui permettent (dans les Communas de l’Horhizome) une organisation strictement égalitaire, quel que soit les vivants qui y habitent, sapiens ou autre. Conséquence de ce fatras post-effondrement qui provoque des déplacements, les populations se mélangent et de nouvelles langues régionales émergent, mélanges d’italien, de français et d’espagnol, notamment.
« […] Et puis les médias de l’époque avaient fait une campagne incroyable disant que si nous passions par l’élection sans candidat ou davantage de tirage au sort, ça serait l’anarchie… « Ben, oui, justement… « Non, oui je sais ! Enfin, pas votre anarchie, mais l’autre, le chaos, le désordre… »
Le récit de ce voyage est notamment raconté par Flumen, resté à l’Amoureraie, qui reçoit les aquarelles et les carnets de notes du voyageurZ et adopte le tutoiement de rigueur dans la communa pour narrer son histoire : « Un cyclo s’est arrêté à ta gauche […] Tes poignes se crispent […] Tu commences à te demander […], » L’auteur, Elio Possoz, adopte un style cohérent, complètement inclusif, qui évite totalement le manque d’élégance des points médians par un vocabulaire novateur. Passé les premiers étonnements, on s’habitue aux formules inclusives « touste », « voyageurz » et autres termes propres à ce récit « couzâme » (un être vivant avec lequel tu partages un moment, et envers qui tu sens un lien de sympathie.).
Je ne suis guère habitué à ce genre littéraire. Mais à l’heure où l’ancien monde a définitivement repris ses (mauvaises) habitudes antérieures (et les a sans doute même amplifiées) au Covid, que les droits humains sont dangereusement remis en cause, que les activités humaines font fi des alertes climatiques et écologiques, et donc de la santé du Vivant, Les mains vides résonne comme une sorte d’avertissement. Avec deux paires de vieilles sacoches sur le porte-bagage en guise de soutien, ça serait peut-être le moment de pédaler à la rencontre de l’Horhizome.