Lettre à ma région
Je crois qu’on n’écrit jamais assez à sa région pour lui signifier à quel point on l’aime. Que l’on en soit natif ou plus simplement un « accueilli ».
Chaque semaine apporte son lot de surprises, de rencontres et de diversités. En quelques jours, c’est un bouquet fleuri de thématiques qui enrichit l’esprit et nourrit la réflexion. Parler haute technologie et innovations au service de l’industrie horlogère, le lundi ; jouer à des jeux de société en compagnie de requérants d’asile, le mardi ; écouter une ancienne Conseillère fédérale, le mercredi ; discuter festivals de bandes de dessinées, le jeudi ; ou encore se laisser submerger d’émotions aux notes d’une fanfare (joliment baptisée « La Persévérance ») d’un petit village jouant une aubade à l’occasion de la fête des mères, le vendredi. Est-il un autre endroit où tout cela est possible dans un espace-temps aussi restreint ? Peut-être, mais c’est bien ici que je mène ces jolies aventures (« Ta vie et ton planning sont vraiment aléatoires », raisonne ma fille).
Malheureusement, entre deux activités, je circule encore trop souvent en voiture. Néanmoins, mes sinueux trajets entre monts, vallées et vallons sont encore et toujours, 21 ans après mes débuts, sources d’émerveillement : circuler dans des gorges sauvages, contempler une mer de nuages depuis le passage d’un col ou, à contrario, apercevoir les alpes bernoises lors d’un magnifique temps clair. L’enchantement (même dans le brouillard, on y trouve une forme de romantisme) est à chaque tour de roue.
Puis, il y a ses habitantes et ses habitants, bien évidemment. En chacune et en chacun, il y a matière à apprendre et à goûter la diversité des opinions, des expériences vécues ou des habitudes locales. Ce vendredi, alors que je patientais pour une petite intervention orale, avant le concert de la fanfare évoqué plus haut, un homme s’approche de moi. Il me pose cette question que je n’ai pas entendue depuis fort longtemps : « Vous n’êtes pas du coin, n’est-ce pas ? » Là, ce ne furent pas des paroles méfiantes, mais plutôt bienveillantes. Elles se poursuivaient par ce plaisir de « m’accueillir pour partager un bout de la tradition du village. » J’ai donc acquiescé. C’est vrai que je ne viens que très rarement par ici. Le village abrite notamment la plus vieille maison du territoire, celle du Banneret Wisard, construite en 1535.
Pour vous conter plus largement et avec davantage de poésie les qualités de ma campagne, je rêve d’être foudroyé par l’esprit et la prose de Werner Renfer, natif de Corgémont. Il arpenta les intérieurs et les contours de notre région durant le premier tiers du 20e siècle. Écrivain, journaliste et poète, dans son journal « Le Jura bernois », il en illustrait sa richesse et sa singularité de son talent. Ses écrits mêlaient habilement fines analyses de la politique internationale de son temps et chroniques locales passionnantes, à la découverte des paysages et des sociétés qui les habitent. Renfer était capable de transfigurer, le temps d’une promenade, le mot, « Vallon » pour en extraire une onde poétique qui reflète merveilleusement la vie d’ici : « Il faut que je pense à adorer son village ; même petit au creux de ce vallon ; le monde a beau être grand, son image ; est là dans mon village frais et blond. »
