10
Fév
2024
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L’expression de murs bien vivants (4,21 km)

La longue ligne droite que je suis depuis plusieurs centaines de mètres s’achève par un passage sur un petit pont en bois qui enjambe la Birse, une rivière voyageuse – dont la source se trouve à un jet de pierre de ma position – qui file à travers la vallée pour ensuite se jeter corps et âme dans le Rhin. Ensuite, ma route oblique vers le nord avant de descendre sous le second sous-voie de mon trajet, permettant un passage sécurisé sous le chemin de fer.

Si parfois, les murs ont des oreilles, d’autres sont d’infatigables causeurs. Au gré des peintures qui les couvrent et les recouvrent, leurs humeurs sont tantôt rebelles, tantôt mélancoliques, humoristiques ou poétiques. Au gré des artistes qui leur donnent la parole, ces murs ont la réplique laide, le verbe acerbe ou, bien au contraire, déclament avec allégresse la beauté de notre planète.

Les images s’entremêlent offrant au visiteur de passage des rencontres improbables et des univers qui s’entrechoquent dans une sorte de « big bang » culturel. Ainsi, la poésie subversive du « lanceur de fleurs » de Bansky croise le burlesque Darwin – protagoniste de dessin animé – sorte de poisson rouge gratifié par l’évolution d’une paire de jambe, d’une capacité à respirer hors de l’eau et d’une l’éloquence inépuisable sur l’art d’aimer la liberté. Qu’il est inestimable ce fruit du hasard qui unit sur un même mur, dans le même espace-temps, des personnalités si différentes qui devisent ainsi ensemble sur l’impertinence de notre monde

Éphémères les images. Éphémères les bombes de peinture. Elles s’abandonnent à la création, se vident de leur substance de manière à débouler, avec une certaine considération, l’œuvre précédente. L’humilité est un art sublimé par ces jeunes pousses aux couleurs vives qui saluent respectueusement leurs ainés dont l’éclat en demi-teinte sera bientôt revigoré par la fraîcheur de celui qui le couvre d’amour. Couche après couche, ces murs accueillent une forme de vie éternelle, sujette à des causeries à n’en plus finir.

Combattantes, les bombes de peinture s’époumonent jusqu’à leur dernier souffle pour magnifier le talent de la main avec laquelle elles font corps. La curiosité du cycliste, qui transite au milieu des effluves des pigments fraichement pulvérisés, lui fait ralentir l’allure pour tenter de surprendre quelques brides des nouvelles conversations qui prennent forme.

Soudain, de ces murs recouverts de graffitis s’échappent un fort brouhaha de paroles inaudibles qui rebondissent contre les parois. L’effet circulaire du tunnel engendre un cyclone de mots qui m’emporte dans un nouvel imaginaire. Face à ces bourrasques de phrases qui sèment le trouble dans mon équilibre précaire, j’appuie un peu plus fort sur les pédales de manière à m’extraire le plus rapidement possible de ce tunnel. Petite courbe montante, silence et grand soleil aveuglant accueillent mon réveil mental.

Parvenu au trois-quarts de mon trajet, j’aspire à retrouver un peu de calme et de repos. Je le crois bien mérité.