Trop rapide – comme un cycliste du Tour de Romandie ? (1,32 km)
Il y a quelque chose d’inhabituel aujourd’hui, un petit air de perfection qui traîne dans l’humidité ambiante. La machine file à une allure anormale, sans que je n’aie à forcer plus que d’habitude. Il y a un petit je ne sais quoi de coureur du Tour de Romandie (en toute modestie !). Aucun cliquetis ne vient rythmer le minutage de la route, la chaîne se déroule et s’enroule sans anicroche. Cette débauche d’excellence rend mon cheminement rapide, beaucoup trop rapide. Une vitesse qui m’empêche de flâner, qui corrompt mon inaltérable rêverie.
Sylvain le mécano a effectué du bon boulot… du trop bon boulot !
Les neuf vies accordées aux chats peuvent bien se démultiplier encore et encore, les cendres du mythique Phénix peuvent, quant à elles, continuer à se consumer autant qu’elles le veulent, ma vieille monture renaît une nouvelle fois… Une longévité magnifiée par un cadre en acier incassable et le fort sentiment qu’il est inutile de consommer davantage qu’un vélo pour un si piètre cycliste.
Ainsi, des doigts experts passent et repassent régulièrement sur mon vélo. Un changement de plateau par ici, une nouvelle chaîne par-là ou la mise en place d’un système de freinage à la mode et tout repart comme au début de l’an neuf : avec de nouvelles ambitions et des résolutions fraîchement débarquées. « Tu peux encore continuer des dizaines d’années ainsi », me confirme l’expert.
Ensuite, une fois en route, tout devient plus clair (« Tout se simplifie », selon Alexandra David-Néel) et les occupations changent.
Les freins, eh bien oui… freinent. Curieuse sensation qui manque de me décontenancer.
Le silence des trois plateaux s’impose. Curieuse sensation qui équilibre ma concentration.
Le changement de vitesse est fluide. Curieuse sensation qui dissipe la fatigue due aux à-coups.
J’ai une profonde admiration de la capacité qu’ont certaines personnes à entreprendre toute mécanique. Simplement armé de 10 doigts agiles et de quelques outils efficaces, ils remettent à neuf une vieille machine qui, peut-être, m’en vaut plus la peine. C’est qu’en cette période où les approvisionnements en pièces de rechange sont compliqués, il est nécessaire d’avoir une volonté et une passion à toute épreuve.
Bref. Sylvain a effectué du bon boulot… du trop bon boulot !
Je ne suis pas naïf. Dans quelques mois, le freinage s’étalera de quelques mètres supplémentaires, le dérailleur animera la route de son doux roulis bruyant et le changement de vitesse donnera quelques secousses qui perturberont la bonne marche de l’ensemble. Ma concentration en sera déséquilibrée et mon corps décontenancé, à moins que cela ne soit l’inverse.
De défaut en défaut, de pannes en frayeurs, le temps passera jusqu’au jour de l’intenable.
Ce jour-là. Il sera temps de retourner voir Sylvain afin de reprendre de la vitesse et de gagner une nouvelle vie.